"Scandaleux", "inacceptable", "irrationnel": la colère gronde en Bretagne après la proposition de règlement européen d'interdire le chalutage en eaux profondes alors que les pêcheurs ont redoublé d'efforts et que l'état des stocks est désormais au vert selon les scientifiques.L'incompréhension et l'écoeurement dominent en Bretagne depuis la proposition jeudi de la commissaire à la Pêche Maria Damanaki d'interdire sous deux ans le chalutage en eaux profondes dans l'Atlantique nord-est. "Le problème est éminemment douloureux sur l'emploi, et la rentabilité de l'armement vient de ces bateaux-là", a expliqué à l'AFP vendredi Jean-Pierre Le Visage, chargé d'exploitation à la Scapêche (Intermarché/Les Mousquetaires), premier armement concerné en Bretagne.
A la Scapêche, basée à Lorient, six chalutiers sur huit vont sur les grands fonds, les deux autres sur la lotte. Sur les grands fonds, "directement, ce sont 250 personnes qui sont concernées. Mais si on parle de l'incidence sur le port de pêche, ce sont 600 emplois directs et indirects", précise-t-il. "Ce qui nous hérisse vraiment le poil, c'est que la commissaire fait une proposition de règlement sans matériel scientifique pour l'étayer", s'insurge-t-il. "C'est scandaleux".
"Le dernier avis du CIEM (Conseil international pour l'exploration de la mer, qui formule des recommandations pour la définition des taux de capture et des quotas, ndlr) fait état en juin 2012 de niveaux de reconstitution qui sont bons", et "ils n'ont même jamais été aussi bons", explique M. Le Visage.
"Depuis dix ans, des efforts énormes ont été faits. Il y a une collaboration très efficace entre scientifiques et armement" et, "aujourd'hui, le CIEN estime que l'on est arrivé au seuil du rendement durable. Il n'est pas question que ce type de pêche s'arrête", a martelé Gérald Hussenot, secrétaire général du comité régional des pêches de Bretagne.
"aujourd'hui les choses ont changé" Les navires n'exploitent ainsi que 10% des zones de grands fonds, hors des zones de récifs coralliens, rappellent les professionnels. La commissaire affirme vouloir protéger les grands fonds situés à 4.000 m de profondeur, mais les chalutiers ne vont pas au-delà des 1.500 mètres, note le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). "L'essentiel de nos pêches (grenadier, sabre et lingue bleue) se situe entre 600 et 1.000 mètres", confirme M. Le Visage.
Et si, il y a 15 ou 20 ans, la situation de la ressource des grands fonds était mauvaise, "aujourd'hui, les choses ont changé", affirme M. Hussenot. L'armement Scapêche a ainsi réduit la voilure, en passant de 21 chalutiers en 2000 à six en 2005.
"Aujourd'hui, nous sommes entre la colère, la révolte, l'incompréhension, et le mépris de tous les efforts consentis depuis des années", assure M. Le Visage.
Les politiques ne sont pas en reste pour monter au front, comme la députée européenne Isabelle Thomas (PS) qui estime, dans un communiqué, que "la destruction programmée de ces emplois non délocalisables relève purement de l'irrationnel". Les élus bretons ont eux aussi alerté sur les conséquences socio-économiques "catastrophiques" qu'un tel projet aurait en Bretagne avec "des centaines d'emplois directs perdus".
Une perspective qu'ils ne veulent même pas envisager alors que deux piliers de l'emploi en Bretagne sont en train de s'effondrer: le groupe volailler Doux où plus de 1.500 licenciements sont craints et l'usine PSA de La Janais, près de Rennes, avec 1.400 suppressions d'emplois.